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hombre


 
Nos corps ont pris la mauvaise habitude de coudre des boutons sur des chemises qui auraient dû se faire la malle avant le grand soir, c’était écrit dans le contrat : on ne badine pas avec le petit commerce.

On se défile ? on voudrait rouler sa bosse ? C’est à chaque fois la même rengaine du côté des RH mais nos corps ne sont pas des Bardamu, le défilé trop peu pour eux et c’est une chose entendue : ils s’en balancent de démissionner avant la fin de leurs CDD.

Nos corps ont, vont, font : n’ont-ils jamais tenu l’élastique qu’on leur tendait ? Disons-le tout net : plus d’une fois ils ont obtenu le high score à tous les jeux vidéo que leur société avait vendus pour ne pas laisser la pole position à de prétentieux inconnus qui auraient illico revendu leur logiciel au premier venu s’ils étaient devenus. Imbattables. Invincibles. Inébranlables. Indestructibles. Impitoyables. Solides. Immortels. Dans la foulée nos corps se souviennent avoir tenté d’obtenir pour une entreprise concurrente le high le must le wonderful high score sur chaque jeu en ligne afin que tous les geeks de la gamosphère puissent tous dépenser leurs prêts à la consommation ou utiliser leurs bénis crédits jusqu’à ce que mort sans soif.

Du soir au matines, de la curée à la voilette, durant des années de vaches laitières, nos corps ont suivi des courbes enfiévrées, des us et des coutumes de pacotille et puis des chiens qui n’avaient pas de poils dans la main mais à quoi bon montrer ses biceps aux maquereaux dans la pyramide consanguine, il faut bien crever un jour se sont dits nos corps.

Alors ils ont ouvert leur bouche, grand la bouche, plus grand la bouche, ils ont ahané quand l’homme s’affolait, ont fait mmh mmh quand il tordait sa bouche ou bien prends ça profond hein que tu l’aimes ma bite quand il ne cessait de répéter fuck you à la femme dont le visage était masqué. Comme c’était un travail à mi-trempes, après la pause méridienne ils ont grommelé, murmuré, chuchoté, ils ont fait des mmh et encore des mmh quand l’homme ou la femme de l’autre côté tiraient la chasse sur leurs pensées mauvaises. Alors nos corps ont sorti leur ordonnance : ce sera quatre ave et trois pater mais on leur a dit d’aller se faire foutre.

Nos corps descendent toujours plus bas, montent les têtes, descendent les gorges et remontent les bretelles. Désormais ils attendent comme tout le monde qu’un pays soit assez endetté pour placer de fortes sommes d’argent en espérant que son économie puisse vraiment s’effondrer cette fois.

C’est ainsi que nos corps sont devenus l’ombre de l’arbre enfoncé dans les cœurs, l’ombre de l’homme de paille, l’ombre de l’hombre, l’ombre de celui qui défile reggae hilare aux côtés d’une liste qui ne cesse de s’allonger, le cœur percé de part en part.

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
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première mise en ligne et dernière modification le jeudi 10 mars 2011