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sans K#5


 
 
Tout a l’apparence d’un quelconque jour de n’importe quelle semaine. Sans affolement intempestif ni cadavres dans le placard, sans poupée à dégonfler ni voisin à dédommager. Un jour comme les autres, sans Kwakizbak. Un jour de plus où chercher la petite boîte, l’ouvrir, prendre entre ses doigts les pilules jaunes – mardi, donc – et les avaler.

Se traîner jusque dans la salle de bain. Dos au miroir attendre qu’il y ait assez de buée pour lui faire face. Choisir quelle chanson fredonner avant de lancer la machine à laver et sortir. Se mêler à la foule en écoutant en boucle une musique de Carnaval et faire plusieurs fois le tour du pâté de maisons en vérifiant que les caniveaux sont bien dégagés.

— Personne ne m’a pas encore dit comment parler à quelqu’un d’autre qu’à moi.

En général tout se passe bien, surtout le mardi. Sans doute parce que les gosses sont à l’école, les maraîchers dans un autre quartier, les flics au PMU et les dealers en RTT. Le mardi personne ne m’accoste jamais et je fais bien gaffe de ne heurter personne, même pas en pensées. Ce matin encore je marche l’air détendu, sans masque, sans tordre la bouche, sans jamais crier. Dedans je porte une montagne ou c’est plutôt la montagne qui cherche à m’écraser mais personne ne le sait. Je devrais rebrousser chemin, puisque je peine à franchir chaque seuil, mais je préfère continuer et faire comme si de rien n’était. Mais soudain quelqu’un m’arrête. Un peu plus loin, un autre. Puis une femme. Deux femmes et un homme. Plus vieux. Des gens de tous âges m’abordent, me questionnent.

— Vous n’auriez pas encore grandi ?

Je ne vois pas où ils veulent en venir. Je pense d’abord à un coup monté par Kwakizbak depuis la face cachée du monde. Je prononce son nom, au cas où. Ce sont mes seuls mots (ou plutôt le seul mot, son nom, mais répété plusieurs fois). Personne ne semble comprendre. Et comme je rentre, les dents grincent. La montagne s’est attaquée à mes mâchoires. Je déguste.

Je pousse la porte de la chambre de Kwakizbak et ouvre son armoire. Je sais qu’elle dissimule un miroir, qu’il permet de se voir en pied quand on recule. Force est de constater que le bas de mon pantalon m’arrive aux genoux et que mon sweat à manches longues n’est plus qu’un T-shirt. Je cours dans ma chambre, passe un autre pantalon, un pull, un jogging, des trucs en bas et des machins en haut mais à chaque fois c’est la même chose : tout a rétréci. Il s’est passé quelque chose pendant la nuit. Quelqu’un est venu remplacer mes habits ou les a fait bouillir. Ça ne peut être que ça. Quoi d’autre sinon ?

Je voudrais en avoir le coeur net. Je cherche dans mon carnet l’adresse d’un professionnel de la profession en qui j’ai confiance. On jouait aux fléchettes dans le poulailler du voisin quand on était gosses.

— Mesure-moi maintenant.

Almidal, qui est croque-mort, ne comprend pas ce qui m’arrive.

— Tu vas devoir choisir un cercueil plus grand, je ne vois que ça.

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
BY-NC-SA (site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
première mise en ligne et dernière modification le mardi 14 février 2012

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