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Laurent Herrou | Avant | 8 août 2003

Retour de la piscine, sous un ciel couvert – mais les nuages n’en sont peut-être pas, mais juste l’accumulation des fumées noires des feux de Luceram, que les pompiers ne parviennent pas à maîtriser. Retour de la piscine, nous bronzons peu à peu : Jean-Pierre l’est déjà, moi je vois la marque du maillot se dessiner sur mes fesses, et je souris à cette empreinte de l’été, que je n’avais pas retrouvée depuis des années (je boudais le soleil niçois). Il fait chaud, mais au bord de la piscine il y a un courant d’air bienvenu qui fait que même à l’heure la plus chaude, celle où nous y allons (entre midi et deux), il fait presque frais une fois mouillé. Les enfants rentrent chez eux, viennent nager les habitués, les musclés, les hommes. Jusque là je regardais sans plus : aujourd’hui, un type trapu, pectoraux poilus et ronds, un tatouage christique sur le dos, intrigant, une belle gueule ; puis dans les vestiaires nous retrouvons un régulier, sans doute pompier, ou sportif, taillé, tête rase, qui jette des regards entre timidité et curiosité vers nous, suit Jean-Pierre dans les douches (moi je ne me douche pas : une fois sec, je n’ai pas envie de me remouiller – et puis les douches m’excitent, alors : à quoi bon ?). Lorsqu’ils en reviennent, Jean-Pierre me presse : tu m’attends dehors ? Il est nu, il s’essuie méticuleusement, l’autre ne s’est pas encore déshabillé, je souris, lance : je t’attends au soleil, en même temps que je dis au revoir à l’autre, j’imagine des choses qu’ils se disent, qu’ils se regardent, qu’ils comparent, se touchent un peu, à la va-vite, ça m’excite mais je ne le laisse pas paraître, je m’enferme dans la lecture tranquille de Jeanette Winterson, Gut symmetries, en attendant Jean-Pierre sagement, en espérant des choses auxquelles lui ne pense peut-être pas. Il y a aussi ce couple, ce duo, que sont-ils ? Père et fils, amis, amants, l’un est assez vieux, entre cinquante et soixante, marqué, il me rappelle cet homme que nous avions entrepris sur la plage en Bretagne, qui avait un sexe important, il y a deux étés (évidemment le regarder m’excite) ; l’autre, plus jeune, la trentaine au plus, épaules d’athlète et toison noire, belle démarche, sourire carnassier. Ils se parlent, se regardent, s’attendent, rient, ignorent les autres – qui sont-ils ? On ne se dit pas bonjour, la piscine est un lieu d’échange de regards, où la parole est bannie. Seuls les corps parlent, et l’eau le long des muscles. J’y prends du plaisir bien entendu.
Je prends du plaisir aussi à récupérer l’usage du bras. Hier soir, instant de panique pourtant, et déprime conséquente, j’avale un Lexomil avant de laisser la crise frapper, je m’endors sous les caresses de Jean-Pierre, qui rejoint ensuite la télévision, ne vient se coucher que très longtemps après. Dans un rêve, cette nuit, il ne me rejoignait pas, me mentait ensuite, prétextant qu’il était venu se coucher, je lui assurais que non, je ne lui en voulais pas de découcher, juste de me mentir, mais il ne parvenait pas à dire la vérité, et nous nous disputions. À qui pense-t-il ? À quoi pense-t-il ?
Les ouvriers ont commencé les travaux sur le balcon de bonne heure, Jean-Pierre s’est levé, a passé un short, le bonjour traditionnel, et puis il revient dans la chambre, il bande un peu, dès qu’il se déshabille je prends son sexe dans ma bouche, et nous jouissons tous les deux sur mon torse (je murmure : repeins-moi la façade ! pendant qu’il astique sa queue, et il se vide avec un soupir énorme – de frustration contenue ?). On jouit, on dort, on nage, on part à Paris le 15 août, on a trouvé des billets étonnamment peu chers, tarif couple, Air France, retour le 26, séjour en Bretagne une fois que l’on sera là-haut, le kiné a dit : ne vous inquiétez pas… Il parlait du bras, qui reviendrait, et des vacances. Lui, le kiné, part la semaine prochaine pour une semaine, il dit : vous verrez ma collègue… Il dit : ne vous inquiétez pas ! Il passe très vite au tutoiement, c’est très différent de ce que je pensais, les séances chez le kiné, je m’attendais à un truc intime, lui et moi, c’est à l’opposé ambiance salle de gym, les gens sont autonomes, ils branchent tout seul les appareils qui mettent leur muscles en tension, les font travailler, le kiné dit : ce sont vos électrodes, gardez-les ! J’ai raconté à Jean-Pierre que j’avais l’impression d’être dans une émission de télé-achat. Puis il masse un peu, Gérard, le kiné (appelons-le Gérard), il est passé au tutoiement, il dit : ça va ? T’as pas mal ? Il répète : t’inquiète pas, il faut pas forcer, et ça va revenir doucement, petit à petit. Je ne force pas, je laisse faire. Jean-Pierre est déçu, il dit : j’espérais que tu sortirais emballé… Parce que c’est lui qui m’a donné l’adresse, il demande : tu veux qu’on en cherche un autre ? Je réponds que je m’en fous, que ce n’est qu’un travail des muscles, que passée la petite frustration, ou déception d’ambiance, je vais m’y faire comme à tout (aux connards de la salle, à la petite mocheté facho qui raconte comment elle envoie chier les noirs dans le bus, aux glandos qui doivent étirer leurs muscles comme leur arrêt-maladie alors qu’ils n’ont plus rien à faire là, au côté boyscout de Gérard qui trouve tout super, extra, génial). Rendez-vous à dix-sept heures trente aujourd’hui encore, puis ce sera lundi, avec sa collègue.
J’ai envoyé l’adresse du site des éditions H&O à pas mal de gens hier, je reçois plein de réponses emballées, je suis d’un ridicule des fois.

Soirée.
Il n’y a rien à la télé, Jean-Pierre dit : on a plein de bons films à regarder… On ne sait jamais avec lui s’il plaisante ou s’il est sérieux. Il enchaîne en parlant de Naomi Kawase, on a enregistré deux des trois moyens métrages que programme Arte cet été (le troisième demain soir) ; donc Jean-Pierre est sérieux.
Il demande : tu es reparti tchatter ?
Non.
Non, je crois que ça ne me plaît pas tant que ça finalement, de discuter avec des types poilus excités quand Jean-Pierre est dans l’appartement. Je suis content que ce soit possible, c’est un pas en avant. Pour moi. Mais je n’en éprouve pas de plaisir. Peut-être parce que je me censure encore : je ne parviens pas à me laisser aller, à me masturber frénétiquement, à m’exclamer sur la taille des queues, ou la pose des mecs. À me prendre en photo avec la webcam, non plus. Je ne parviens pas, je n’en ai pas complètement le désir – ou du moins ce désir-là est-il entravé par la présence de Jean-Pierre. Je ne lui en veux pas, il est chez lui. Je suis chez moi. Tous les deux c’est : nous. Moi seul, c’est autre chose.
Il prend une douche. J’ai demandé : tu veux que je te suce ? Il a répondu qu’il allait prendre une douche d’abord. J’ai dit : j’ai envie de sexe toujours, tu sais ! Voix enfantine, un peu rasoir, je faisais le con. Il a répondu : je m’en rends compte. Je dis : tu crois que je suis malade ? Même voix de gamin capricieux, il répond : sûrement. Personne n’a d’illusion ici.
Je suis malade.
Homosexuel.
Nymphomane.
Obsédé.
Je suis un homme. J’aime jouir. Je suis tout ce qu’il y a de plus normal, entre mon corps et mes besoins. Je me frustre un peu, par amour, par fidélité, par culpabilité, par plaisir peut-être même. Lucidité totale : il n’y a pas de mystère dans l’existence de Laurent Herrou. Il y a des manques, des vides. Des trous que je ne comble pas.
Je ne comble pas.
Les phrases, les mots, ont tellement de significations…


_résidence Laurent Herrou | Avant | 8 août 2003

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
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première mise en ligne et dernière modification le jeudi 3 octobre 2013