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Laurent Herrou | 19 septembre 2003

Mouvement d’humeur, ou résolution : j’ai supprimé tous les courriers reçus sur mes comptes cul, sans en ouvrir aucun – sachant que si je tombais sur une queue tentante, je ne parviendrais pas à faire ce geste-là, salvateur. J’ai donc effacé ainsi la correspondance avec Paul, par exemple. Ou celle d’Olivier. Il le fallait. Il fallait que je me libère des mails. Une fois joui, une fois que j’ai joui. J’ai joui, oui, encore une fois, ce matin, devant des pics professionnelles, je veux dire : pas des hommes face à leur caméra, mais deux photos de magazines ou de films pornos, envoyées par des types qui devaient eux aussi se branler devant elles – ou comme moi ne retiraient plus qu’un plaisir flou à leur visionnage, et ne savaient plus, après des mois de facture téléphonique alourdie, ce qu’ils recherchaient.
J’ai joui.
J’ai viré tous les courriers.
Ne reste plus qu’à supprimer les comptes, dont je crois je n’ai plus besoin. Mes deux dernières réponses avant déconnexion à deux types avec lesquels j’échangeais des messages, ont été la même : « yep ». L’un me disait que j’étais sans doute un « horny bastard », l’autre me demandait si ma queue était épaisse. Yep. Mes derniers mots.
Mouvement d’humeur ou résolution ? Il est 9:30, j’ai un rendez-vous téléphonique avec Henri à dix heures. Il est 9:30, il faudrait que pour dix heures j’aie à nouveau jeté un œil aux épreuves, que j’ai commencé à relire sans rien annoter, remarquant ceci, me disant cela (si : j’ai noté au crayon une inversion sur deux mots, pour ne pas passer à côté la fois suivante). Rendez-vous téléphonique avec Henri pour poser des questions, sur le texte, mais aussi : signatures, service de presse, essayer d’en savoir plus, se parler. Je n’ai pas envoyé l’e-mail ridicule avant-hier (ou le jour d’avant), et les épreuves sont arrivées le lendemain, me récompensant. Jean-Pierre part au travail tous les matins – qui le récompense, et de quoi ? (Mais sans doute ne cherche-t-il rien de cet ordre-là.)
Je ne suis pas fatigué.
Je ne suis pas en forme non plus.
Je suis comme dans un bateau, en partance pour une destination inconnue : c’est l’effet Darrieussecq. J’ai commencé White au café, j’ai ressenti chaque tangage du bateau, chaque goutte de pluie sur les vitres, chaque lame de fond. Retrouvant les sensations déjà éprouvées à la lecture du Mal de mer. Il y a chez Darrieussecq une justesse du détail que je ne retrouve nulle part ailleurs. Peut-être comparable à Wittkop, sauf que chez Wittkop le style étoffé, riche se mêle à la justesse dont je parle, et offre une autre écriture, un autre champ de lecture. Ici pas de fioritures (pas péjoratif), mais les mots et leurs effets. Je crois que les fantômes de Marie Darrieussecq lui soufflent le mot juste. Je l’envie.
J’ai proposé à Jean-Pierre de passer le jour de l’An à Québec, dans le cas où je réussirais à obtenir cette semaine-là de congés. Il a réfléchi à la température, au froid, à l’aventure, il a finalement eu l’air emballé, il a dit oui. Voilà ce qui, au-delà de la parution de Femme qui marche, va motiver mes prochaines semaines.

Le travail sur les épreuves : une relecture douce, un page prise au hasard, puis une autre, une marque au crayon à papier, une attente. Garder les épreuves encore un peu, ne pas me jeter sur elles, ne pas achever le travail. Savourer.


_résidence Laurent Herrou | Avant | 19 septembre 2003

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
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première mise en ligne et dernière modification le vendredi 8 novembre 2013