christophe grossi | lirécrire

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autour, le vide

Au pied de leur supposé bateau ils nous avaient laissé le choix : nous enterrer ou surplomber l’autoroute (ils ne disaient pas les choses ainsi ici, ils parlaient plutôt de niveaux (–1, –2) et d’un parking-terrasse duquel (mais on ne le savait pas encore) un des occupants s’était jeté dans le vide il y a deux années). Préférant, ces derniers temps, nous éloigner des souterrains et du monde sous la ville, nous avons amorcé notre grimpée en nous moquant de ceux qui seraient avalés vivants par le noir ou cramés par les néons du dessous. Nous montions, confiants, rassérénés par les premiers virages qui avaient rouvert une des boîtes de l’enfance, celle où sont rangées les épingles à cheveux des Vosges ou des Alpes. Le grand était heureux, la petite ne parlait pas encore et pour l’heure elle dormait. Il y avait quelque chose de dépaysant à rouler sur des solitudes pareilles en plein après-midi, un lundi. En haut, comme le vent soufflait nous avons convoqué les indiens, les sorcières, les grands pins (il ne manquait plus que le chacal) : le grand mimait tout, la petite dormait contre, tout contre (bébé kangourou) mais autour de nous, le vide, et en bas, un cimetière. Autour, le vide : c’était notre récompense ou notre punition.

Nous étions seuls, la plupart du temps nous étions seuls, sauf quand un désespéré tentait une dernière valse en troisième et droit dans le mur. Le grand disait « N’importe quoi celui-là », la petite faisait des bulles, j’avais un point sur le côté gauche, au-dessus du cœur (poumons, bronches ?), de temps en temps ça brûlait ou piquait, parfois je manquais d’air.

Les murs étaient un peu hauts, il me fallait le porter à bout de bras et le faire redescendre assez vite, il tremblait. Le vide autour il disait lui aussi une fois les deux pieds à terre, ça signifiait qu’il valait mieux ne pas rester trop longtemps ici. Alors il serrait la main, la confiance revenait, et les questions.

Nous avons :
— fait le tour du parallélépipède rectangle, tap-tap-tap, du décor, en évitant quelques rares morts-vivants qui conduisaient une berline, un 4x4
— longé des murs aux couleurs trop vives
— recensé tous les locaux techniques 1, 2, 3, 12, 20, 21, stop, aux portes bleues
— croisé quelques chariots métalliques, des malles rouges en matière plastique et des outils qui pourraient devenir des armes, des haches de préférence.

Autour, le vide et plus bas le trafic – comme quoi tout n’était peut-être pas perdu.

En nous rapprochant des murs peints en jaune rouge brun gris, nous avons remarqué quelques fissures. Nous nous sommes dit que des ongles avaient longtemps gratté ici et qu’ils avaient peut-être tenté de nous dire quelque chose de leur passage dans le décor-ciment mais ça faisait bien longtemps que j’essayais de ne plus comprendre cette langue-là. Autour, le vide et nous serrés tout contre griffés par le vent ou courant bondissant sautant dans les deux bras ouverts là-bas, notre délivrance.
 
 

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_photos prises sur le parking-terrasse du Domus à Rosny-sous-Bois le 17 février 2013

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
BY-NC-SA (site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
première mise en ligne et dernière modification le mercredi 19 février 2014