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quotidiennes XXXII (14/s20)

_la solitude matérielle [1]
#rosnysousbois #nepas #shoppingcartsighting #unevieordinaire

 
 

_flower power à toute heure
#montreuil #lepouvoirdesfleurs #naturemorte

 
 

_promenade tapis blanc loin du rouge cannois [2]
#montreuil #congéparental #auparc #unevieordinaire #guilands

 
 

_homme qui lit [3]
#montreuil #congéparental #auparc #unevieordinaire #guilands

 
 

_compagnon silencieux à cinq pattes [4]
#montreuil #compagnie #surlemur

 
 

_détail du mur de citations de la librairie Millepages à Vincennes
#vincennes #librairie #mursetfaçades #citations

 
 

_en tombant les pétales écrivent leur nom [5]
#montreuil #pivoines #langage #nommer

 
 


_Photos : Rosny-sous-bois, Montreuil (12-18 mai 2014)
 
_Le projet de GRAINS D’INSTANTS est de remonter le temps en images à partir du 18 avril 2012 où j’ai posté mon premier instantané sur le réseau social Instagram, en reprenant ou en modifiant les légendes et, en suivant son évolution, de voir ce que peut créer ce décalage spatio-temporel. Pour en savoir plus sur cette rubrique, suivez ce lien.

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
BY-NC-SA (site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
première mise en ligne et dernière modification le dimanche 8 novembre 2015


[1Après ce long week-end en famille, Lapetite et moi nous retrouvons seuls. Hier, en travaillant dans le carré de jardin (que nous aimerions japonais), j’ai eu l’impression que je n’avais pas semé assez de graines. Je retourne donc chez le fournisseur, Lapetite dans le cosy harnaché à l’arrière de la voiture puis dans le porte-bébé. Le parking du Domus est vide, un caddie a été abandonné : solitude matérielle. C’est lundi matin. Personne dans le magasin. Tous les gens sont venus ce week-end et maintenant ils travaillent en pensant peut-être à leurs plantations déjà en terre ou en attente de l’être. C’est lundi, Lapetite se laisse porter, transporter : je la porte sur moi, contre moi, en moi. Celui qui porte le nom de celui qui, dit-on, a porté le Christ sur ses épaules, et puis est devenu le saint patron des voyageurs, la porte contre et dans son coeur. Et peu importe la nuit passée, peu importe la ride supplémentaire au coin des yeux, peu importent le chahut, la renverse et la bascule que son arrivée et ses débuts dans la vie provoquent en moi, peu importent le sommeil haché, les coups d’œil répétés sur le radio-réveil (1:23, 2:30, 3:11, 5:42...), les phrases désolées, je porte Lapetite et tous les deux nous sommes en route, ensemble nous allons chercher des graines que nous sèmerons, que nous regarderons pousser comme je la regarde grandir, puis nous nommerons les fleurs, nous ferons des bouquets et Lapetite arrachera quelques pétales tandis que j’étalerai sur la table ceux des pivoines achetés au marché et qui commencent à s’étaler autour du vase afin d’écrire leur nom. C’est lundi, nous sommes seuls ou presque, les vendeuses et vendeurs rangent, classent, trient, nettoient ce que le tsunami humain du week-end passé a provoqué comme dérangements, vides, trous, manques, ruptures de stock tout en se préparant déjà au suivant. Ils sont fatigués et on dirait qu’ils s’ennuient un peu ; ils ne savent pas ce qu’ils préfèrent : la foule ou attendre le client, l’entre-deux ne se présente pas souvent, regrettent-ils. C’est lundi, je porte Lapetite et ne peux donc rien ramener de lourd ou d’encombrant. Le sac de terreau est trop volumineux, tant pis je repasserai, mais les graines, elles, tiennent dans la poche du kangourou. Sur le chemin du retour nous sommes surpris par un orage. Personne ne voit plus rien à dix mètres devant soi du côté de la porte de Bagnolet mais nous sommes à l’abri, Lapetite, les graines et moi.

[2« Je me suis demandé comment on pouvait écrire sans marcher, sans regarder au-delà des fenêtres, sans respirer plus loin que le parfum artificiel des stores, sans être au-delà de ces choses, en deça, au-dehors, au-dedans », écrit Emmanuelle Pagano dans Les mains gamines (P.O.L, 2008).

[3Je m’en vais marcher, suis la progression des nuages, mâche des mots, écris sans mes doigts, sans ma bouche, dans la foulée tranquille, regarde longtemps cet homme seul qui lit, Lapetite s’endort dans le porte-bébé.

[4La journée se passe, dans la ouate, en compagnie d’un cousin qui a élu domicile sur le mur de la pièce principale, ce compagnon silencieux à qui (je le remarque seulement après l’avoir photographié) il manque une patte.

[5« Le rôle du père, c’est de rendre la mère heureuse, pour qu’elle ne rende pas fous les enfants. » (John Travolta cité par Marie Darrieussecq dans Le bébé, P.O.L)