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vital journal viral #5
Du 12 au 18 avril 2020
Ce journal a débuté le 15 mars 2020 ; tenu au jour le jour, il est mis en ligne chaque dimanche sur ce site.
Dimanche 12 avril 2020
Ce matin, j’ai appris ma mort au téléphone.
Un très vieil ami m’a appelé. Il était devant chez lui, j’entendais les oiseaux, je l’entendais fumer aussi. Comme tout le monde en ce moment, nous avons parlé de nos vies contraintes, empêchées, de certaines libertés retrouvées aussi, des changements de rythme, de la vie de famille, de l’accompagnement parental, des « masques » qui tombent à la maison et de ceux que nous portons dehors, de l’être aimé avec qui nous ne vivons pas.
Puis une petite voix d’enfant a surgi :
– C’est qui au téléphone ?
– C’est Christophe, il habite loin, tu ne le connais pas.
– Il est mort ?
Pas encore, ai-je répondu. Et nous avons ri, mon ami et moi.
Quand pourrons-nous ressortir ? Quand nous reverrons-nous ? Que se passera-t-il alors ? Nous serrerons-nous la main ? Nous embrasserons-nous ? Nous laverons-nous les mains à chaque fois que nous sortirons et quand nous rentrerons chez nous ? Nous désinfecterons-nous avant de prendre et après avoir pris les transports en commun, avant et après chaque rendez-vous ? Oserons-nous manger les olives, les cacahuètes, le pop-corn qu’on nous offre dans les bars ? Continuerons-nous à nous esquiver dans la rue ? Nous méfierons-nous de tout le monde ? Resterons-nous à distance les uns des autres, quel que soit l’endroit, quelle que soit la personne en face ou à côté de nous ? Quels seront nos comportements dans les magasins, au bureau, dans les musées, les salles de sport, les salles de spectacle ? Et pour ceux qui s’aiment et ne se seront pas vus depuis plusieurs semaines, se prendront-ils dans les bras, s’embrasseront-ils sur la joue, les lèvres, dans le cou, se caresseront-ils ? Oseront-ils faire l’amour ? N’auront-ils pas peur de se contaminer ?
Lundi 13 avril 2020
Ce soir, le Président Macron a fait plusieurs annonces dans le poste. Il avait l’air en forme. Avant qu’il n’apparaisse, je l’avais imaginé un peu palot, lui qui ne doit pas trop voir le soleil en ce moment avec toutes les réunions qu’il enchaîne. Mais non. Il doit avoir un balcon sur lequel il fait ses pauses, son panini aux trois fromages dans une main, son Tropico dans l’autre. Ou un très bon fond de teint. Et un coiffeur aussi.
En tant que représentant du peuple français, il aurait pu faire un effort : essayer de nous ressembler. Il aurait mis un bonnet ou une casquette pour cacher ses cheveux hirsutes, sa coupe informe ou bien se serait rasé le crâne, nous aurions vu l’un des nôtres. Il serait venu avec une barbe de quatre semaines, des cernes sous les yeux, deux ou trois kilos de muscles en moins, un pyjama de ville, une cravate #restezchezvous, nous nous serions reconnus. Nous aurions vu à quel point lui aussi il en bave.
Non.
Il avait même eu le temps de repasser sa chemise, d’enlever les pellicules et les poils du chat sur sa veste, de se faire détartrer le râtelier.
Fort heureusement, il n’a pas oublié d’avoir l’air triste au moment d’évoquer les gens malades, les gens qui les soignent, les vieux, les gens dans la rue, les gamins qui ont décroché de l’école, les gens qui bossent, les parents qui craquent, les morts. En revanche, il n’est pas parvenu à cacher son sourire en coin, celui qui nous fait nous demander à chaque fois : elle est où la piperie ?
Il est donc question de rouvrir les écoles, les collèges et les lycées mais pas les facs. Une date sort du chapeau, on la brandit, tout le monde devrait être content : On a une date maintenant !!! Mais ça change quoi ? Ça ne vous angoisse pas, vous, de savoir que tous ceux qui travaillent dans des établissements scolaires avec des enfants n’auront pas de masque ? Parce que les masques, on ne les aura pas le 11 mai. Il a voulu nous faire croire que ces établissements allaient rouvrir pour lutter contre les inégalités sociales. Ça, c’était pour la corde sensible. Nous ne sommes pas dupes : ce qui motive le gouvernement est de faire repartir l’économie en demandant aux parents de retourner travailler. Mais pour cela, il leur faudrait arrêter de faire l’école chez eux.
Plutôt que de déclarer : On a merdé, désolé, c’est pas simple tout ça. Plutôt que de nous dire : On ne sait pas par quel bout attraper Corona-19. Plutôt que d’avouer : On a fait des erreurs, on n’a pas pris les bonnes décisions au début mais fini tout ça, maintenant on va vous rassurer, le Président Macron a préféré à nouveau mentir, nous prendre par les sentiments et pour des cons.
La question du réchauffement climatique, de l’écologie, n’a pas été abordée. Les causes de l’épidémie n’ont pas été évoquées : mondialisation, transports facilités, libéralisme économique, surproduction, déforestation, exploitation animale et humaine, pollution de l’eau, de l’air, de la terre, entre autres.
Ce soir, je ne suis pas en colère mais abattu. Je me sens utilisé, manipulé.
Fort heureusement, ce matin, une très bonne nouvelle est arrivée de ma Franche-Comté natale. Plusieurs bancs de saucisses de Morteau sauvages (espèce aquatique que l’on croyait disparue) ont été aperçus dans le Doubs entre Montbéliard et Besançon.
Mardi 14 avril 2020
Les enfants, qui ont bien dormi, ne peuvent imaginer que leur père n’a quasiment pas fermé l’œil de la nuit. Il va néanmoins falloir être là, avec eux, pour eux. Il est où le SAV de Macron ? J’aurais deux ou trois mots à lui dire.
Quatre semaines derrière. Quatre semaines devant. Au minimum. Dans nos « bottes des montagnes de questions ». Parmi elles : comment nos enfants vont-ils faire pour passer autant de temps ensemble et sans se toucher dans des espaces aussi exigus ? Comment savoir s’ils ne contamineront pas leurs enseignants, leurs camarades, leurs frères et sœurs, leurs parents, voisins ? Il faudra aussi penser à faire des trous dans les masques pour qu’ils puissent manger à la cantine.
Professionnellement, les librairies rouvriront-elles ? Si oui, dans quelles conditions ? Si oui, qui pourra travailler ? Si oui, combien de personnes pourront entrer dans les magasins ? Avec des gants, des masques ? Toucheront-elles les livres ? Devront-elles acheter les livres qu’elles auront eu en main ? Quels livres voudront-elles lire, offrir, acheter ? Quels livres commanderont-elles ? Comment les éditeurs avec qui je travaille pourront-ils être visibles dans le flou actuel ? Comment continuer à faire notre métier de relations libraires quand les relations seront encore limitées ?
Quant aux personnes qui s’aiment mais sont séparées depuis un mois, tiendront-elles encore longtemps sans se voir ? Faudra-t-il qu’elles le fassent en cachette, comme des adolescents, des couples illégitimes ? Qu’elles se transforment en des Bonnie and Clyde, ainsi masquées, qu’elles deviennent des hors-la-loi ?
En résumé, hier soir, “OMAcRon MA TUER” mais l’atelier « meringues » avec les enfants m’a ressuscité.
Mercredi 15 avril 2020
Un mois aujourd’hui que j’ai ouvert ce journal. Pas envie de remonter le temps. Je l’ai bien senti passer, ça va aller. Pas envie de relire donc. Ni de voir comment il évolue, s’il évolue, si les questions sont les mêmes qu’aujourd’hui, si je me répète, radote, tourne en rond. Pas envie d’effacer ou de détruire non plus.
Quand je pense à mon père, à ses marches et ses longues randonnées, je l’imagine mal faire demi-tour pour aller vérifier si dix kilomètres avant il chaussait déjà du 46.
*
Réception sous forme d’inventaire et d’invention
de la dernière allocation présidentielle :
Dire l’invisible. Voir l’indicible. Révéler l’inaudible. Nommer l’imperceptible. Dénoncer l’insensible. Admettre l’indescriptible. Lire l’intraduisible. Remuer l’incompréhensible. Fleurer l’inintelligible. Visualiser tout ce qui était illisible.
Entendre l’innommable. Imaginer l’insaisissable. Flairer l’indiscernable. Reconnaître l’indécelable. Débusquer l’introuvable. Énoncer l’inexprimable. Pénétrer l’ineffable. Percevoir l’inénarrable. Écouter l’inracontable. Manipuler l’informulable. Saisir l’indéfinissable. Confier l’incommunicable. Promettre l’inégalable. Énumérer l’indéchiffrable. Encaisser l’inécoutable. Exclure ce qui était désagréable.
Anticiper le coup bas. Corriger le plat. Expérimenter le baiser de Judas. Interroger le froid.
Examiner le pâle. Entrevoir le banal.
Repérer le fard. Discerner le blafard. Conjecturer les bobards. Présumer les racontars. Soupçonner le canular.
Remarquer le bourrage. Détourner le mirage.
Signaler le simulacre.
Rejeter le douceâtre.
Exposer le fadasse. Feindre l’audace.
Afficher la farce.
Annoncer la fable.
Comprendre la blague.
Isoler la fanfaronnade.
Ne pas tâter les salades.
Ne pas blairer les craques.
Obscurcir le voilé. Pressentir l’insensé. Défroisser l’entortillé. Se défaire du léger. Montrer le décoloré. Inspecter la fumée. Prédire la vanité. Prévenir des duplicités. Guérir des contrevérités. Écarter l’obscénité. Distinguer la fausseté. Adoucir la brutalité. Refuser l’immoralité. Constater l’affecté.
Renifler le secret. Zieuter le sans intérêt.
Susciter le sans queue ni tête.
Mater le terne.
Informer le faible.
Colorer le blême.
Viser l’impersonnel. Éprouver le conventionnel.
Se méfier de la hardiesse.
Ignorer l’extraordinaire.
Tremper le doucereux. Tromper le sirupeux. Détromper l’ennuyeux. Déguiser le fastidieux. Cultiver le mystérieux.
Chercher l’erreur. Sonder l’impudeur.
Vérifier la flatterie. Chasser la vanterie. Lever les fourberies. Repousser les tartuferies. Congédier les tromperies. Arracher les effronteries. Braconner la mythomanie. Pêcher la calomnie. Braquer la comédie. Expulser les hypocrisies. Dénicher le petit.
Envisager l’infime. Dévoiler la frime.
Jauger l’insipide.
Frapper l’artifice.
Tripoter le postiche.
Palper l’inexpressif.
Recueillir l’euphémisme. Rayer le cynisme.
Gagner le difficile.
Observer le faux. Éloigner le bateau.
Démaquiller le mort. Savourer l’inodore. Découvrir l’incolore.
Battre le morne.
Écraser la carotte.
Exprimer l’indistinct. Signifier l’anodin. Embraser l’éteint.
Tacler la feinte.
Juger l’inapparent. Proférer l’abracadabrant. Expliquer l’insignifiant. Réfléchir à l’inintéressant. Manier le languissant. Flatter le dégoûtant. Redresser le rampant. Croiser le néant. Loucher sur le boniment. Interpréter le roman. Remanier l’écoeurant.
Ne pas aimer l’impudence. Ne pas caresser l’imprudence. Ne pas pratiquer l’inconvenance. Ne pas empester l’insolence.
Subodorer le nauséabond. Deviner le bidon. Se douter de la fabulation.
Faire vibrer l’imagination. Être témoin de la mystification. Stipuler la simulation. Noter la fiction. Se représenter l’invention.
Estimer l’illusion.
Notifier le mensonge.
Duper le conte. Contrer le quelconque.
Boxer les bourdes.
Porter l’obscur. Proclamer l’imposture.
Jurer l’inexactitude.
Refaire l’histoire et nous raconter des histoires.
Une première : Amazon a désormais interdiction de vendre des livres en France.
Jeudi 16 avril 2020
Jeudi-citations.
9h06
Le Docteur Patrick Bouet, Président du Conseil national de l’ordre des médecins, déclare sur le site du Figaro : « Il n’y a pas d’explication médicale à déconfiner dans le milieu scolaire en premier. Ce choix révèle un manque absolu de logique. Nous ne comprenons pas cette annonce. »
10h37
Au bout d’un mois, l’envie de lire revient doucement.
Cela passe par la lecture de textes en lien avec mon travail. Et c’est déjà ça…
Hier soir, j’ai commencé le roman de Caroline Deyns, Trencadis, qui paraîtra aux éditions Quidam à la fin du mois d’août prochain.
C’est la première fois que je lis cette auteure.
Ce matin, réveillé très tôt, j’ai repris la lecture de ce roman, épaté par l’écriture et la manière que Caroline Deyns a (c’est morcelé, c’est volontaire et c’est fort) de raconter la vie et l’œuvre de Niki de Saint Phalle.
Vers la soixantième page, je me suis arrêté longuement sur ce dialogue entre elle et son premier mari, l’écrivain américain, ami et traducteur de Georges Perec, Harry Mathews. Je le reproduis ici car il reflète bien ce que j’ai pu lire jusque-là (page 185 au moment où j’ouvre ce journal) :
« — Harry, chéri, et si on s’installait ici définitivement ?
— Tu veux dire quitter Majorque pour emménager à Barcelone ?
— Non ici même, dans une des trois maisons en contre-bas, celle de Gaudí peut-être ???
— Tu imagines ? Moi oui ! Je crois que je pourrais y être éternellement heureuse. On interdirait l’accès du palais aux chiants et aux cons, seuls les copains pourraient entrer. Je serais la Princesse et toi le Monstre qui me garde.
— Je me voyais plutôt comme Prince Charmant à vrai dire.
— Mais le Prince Charmant, c’est le cabot qui gronde sur le paillasson pour qu’on lui ouvre la porte, et moi je te veux à l’intérieur, toujours. Ta peau se couvrirait d’écailles multicolores, tu serais beau, piquant et chevauchable, je t’aimerais plus que tout...
— Je ne te ficherais pas la trouille ?
— Si, une trouille dingue, et c’est ça qui m’exciterait ! Vois-tu, la Princesse est une gosse perverse qui finit toujours par coucher avec son dragon, c’est ce que les contes ne disent pas et ils ont tort. Il faut que je réécrive les contes.
— Tu voulais déjà annexer le Palais Idéal du Facteur Cheval il y a deux mois.
— Mais ces lieux ont été bâtis pour moi tu comprends ? Ou plutôt non, par moi. Oui, c’est ça, on a infiltré ma cervelle, aspiré mes rêves pour les offrir à Gaudí qui n’avait plus qu’à en devenir l’architecte. Quoi de plus normal que j’habite ce que j’ai imaginé ?
— Cet endroit étant propriété de la ville et une des destinations touristiques barcelonaises les plus courues, je crains, hélas, que cet argument ne soit pas recevable.
— Je savais bien que tu viendrais ruiner mon projet avec ta petite logique raisonneuse. Tant pis. Je construirai mon propre endroit magique.
— Les Français disent bâtir un château en Espagne.
— C’est ce que je ferai !
— Ils disent cela pour se moquer de l’inconstructible.
— Les Français fantasment et les Américains entreprennent. Je suis franco-américaine, mon château, je l’imaginerai et le construirai avec des courbes comme des bras qui vous entourent, et de la couleur, de la couleur à rendre ivre. Tu m’aideras, dis Harry ? »
12h32
Luis Sepúlveda vient de mourir des suites du Covid-19, dans les conditions dramatiques que nous savons. Ce grand écrivain de littérature latino-américaine aurait mérité une mort plus douce, lui qui a connu, vécu, subi la dictature et les geôles chiliennes.
12h42
Laurine Roux, auteure de Une immense sensation de calme aux éditions du Sonneur, et professeure, écrit un long post sur Facebook. Je n’en reproduis qu’un extrait :
« Alors, pitié, Macron, Blanquer & consort, ne nous servez pas la soupe d’une compassion miraculeusement retrouvée, la cuillère ne passe pas.
Parce que si je sais lutter contre les inégalités avec les moyens du bord, je sais aussi qu’on ne lutte pas contre un virus avec deux ficelles et de la bonne volonté.
Et le 11 mai, comme toujours dans l’Éducation Nationale, rien ne sera prêt ni dignement organisé. On nous demandera, la bouche en cœur, de faire comme toujours : avec les moyens du bord.
Alors aujourd’hui, j’ai bien envie de vous la boucher, votre bouche en cœur, avec un gros doigt.
Ça ne passe pas. »
13h53
Coup de gueule de l’écrivain Éric Pessan, toujours sur Facebook :
« Visiblement, ça leur arracherait la gueule de déclarer qu’on ne sait pas trop, qu’il y a des centaines de paramètres à prendre en compte, que l’on doit être prudent, analyser l’évolution de la contamination, s’inspirer de ce que font les autres nations et – éventuellement – tirer des enseignements de leurs erreurs, que l’on ignore bon nombre de choses, que cela dépend aussi du succès d’un éventuel traitement. Ça leur arracherait la gueule de dire avec précision les achats de masques et de gants, les compréhensibles difficultés d’acheminement, les modalités d’approvisionnement. Ça leur arracherait la gueule de parler tous de la même voix sans que l’un dise blanc et l’autre noir pour qu’aussitôt celui-ci évoque du gris, pour se tenir à une ligne qui ne soit pas contredite dans la journée par un ministre, un secrétaire d’état ou un porte-parole. Ça leur arracherait la gueule aussi de s’excuser pour les cafouillages, pour les oui aussitôt suivis de non, pour toutes les fois où avec autorité ils ont dit une chose et son contraire : la non-nécessité d’un confinement aussitôt suivi de l’ordre du confinement, la non-efficacité du port du masque aussitôt suivie de l’ordre de porter des masques ; ils se doutent bien que de telles excuses permettraient d’apaiser les colères justifiées, mais ça leur arracherait la gueule d’apparaitre fragiles là où ils se veulent invincibles. Ça leur arracherait la gueule d’être humbles, de ne pas annoncer des dates, des jauges, des âges, des types de commerce au hasard, juste pour le plaisir mégalomane d’exister durant quelques heures en une des médias. Ça leur arracherait la gueule de réfléchir avant de parler, de choisir la voie de la modestie plutôt que celle de la force, de la fanfaronnade, de la rodomontade, de la hâblerie. Ça leur arracherait la gueule d’avouer qu’ils ne savent pas plutôt que de toujours affirmer, de toujours parler le plus vite, le plus fort, le plus haut. Ça leur arracherait la gueule de se montrer humains, simplement humains : faibles, emplis de doutes mais déterminés à accomplir le mieux pour le bien commun. »
Vendredi 17 avril 2020
Un mois sans toi.
Seulement ou déjà ?
Un mois que je suis sous mon toit sans toi,
À Montreuil-sous-bois,
Et toi, sans moi sous ton toit, là-bas.
Sans toi,
Sans toi à côté de moi,
Sans toi près de moi,
Sans toi contre moi, dans mes bras, sous moi :
L’inverse marche aussi, ma foi.
Depuis un mois,
Je regarde les photographies de toi.
Dans mes écrans, je te vois.
Avec mes téléphones, je te parle, je t’écris, c’est déjà ça.
Mais voilà trente jours que je ne t’ai pas senti, toi,
Que je n’ai pas senti ta peau, tes cheveux, rien, nada.
Un mois où j’ai continué à m’en ressentir pour toi
(La connaissais-tu cette expression argotique-là ?),
Un mois où plus d’une fois je me suis senti loin de toi,
Si loin et pourtant si proche, tu vois ?
Un mois sans débats, sans ébats.
Un mois sans kawa sous les draps,
sans toi dans La chambre de Kat Onoma,
Sans Casanova,
Sans pouvoir croquer de pommes ou tremper « dans le thé des langues de chat ».
Un mois entier, avec ses troubles, ses inquiétudes, ses émois,
Ses colères, ses questions, ses abattements aussi parfois,
ses désarrois,
Et ses joies quelquefois.
Un mois où prendre sur soi.
Où prendre soin de soi, on dit ça,
Et de mes enfants, cela va de soi.
Un mois fait de petits bouts éparpillés de toi :
Jours, heures, minutes, secondes : pas le choix.
Un mois fait de jours où se cognent Ça, Moi et Surmoi,
Où ça bouscule, où ça bascule, où ça envoie du lourd parfois.
Un mois fait de nuits où je vois ton minois, d’autres où je me noie.
Des fois, c’est comme ça.
Des fois, ça passe pas.
De savoir qu’il reste encore un mois,
Au moins un mois à la noix,
Sans te voir, toi.
Samedi 18 avril 2020
Parmi les annonces, les chiffres, les listes (tous ces morts sans nom ni visage), parfois quelqu’un de connu (personnalité, star) fait la une. Il/Elle n’a pas plus de valeur qu’un.e autre. Mais c’est symbolique et ça suffit pour nous émouvoir encore un peu plus. Avant-hier, Sepúlveda. Et hier, le chanteur Christophe.
C’était hier matin, donc.
Cette nuit-là, j’avais réussi à fermer les yeux quelques heures et quand je les ai rouverts, j’ai appris sa mort. Ça m’apprendra à me connecter à peine réveillé alors que j’avais allumé l’ordinateur pour terminer le roman sur Niki de Saint Phalle.
Comme beaucoup de Christophe nés dans les années 70, je dois mon prénom à ce chanteur. Je le trouvais ringard quand j’étais petit. Puis j’ai appris à l’aimer, ce gars. C’était vers l’âge de 30 ans, au milieu des années 2000. Avec mon ami Stéphane, qu’est-ce qu’on a pu l’écouter dans nos longues soirées à Besançon ! Je me souviens également d’un documentaire à la radio où il parlait de son rapport à la ville, au son, au bruit, au silence, de son mode de vie aussi ; il vivait à l’envers : la nuit. Il avait beaucoup d’amis et je pense que leur tristesse doit être infinie. Parce que je suis sûr qu’il était chouette ce Christophe-là ! S’il existe un bistrot avec piano, guitare, ordinateur et table de mixage, là où il est maintenant, j’espère qu’il régalera tout le monde parti avant lui. Je continuerai à écouter ses chansons, même les ringardes.
Ça m’a fait tanguer de commencer une nouvelle journée avec l’annonce de sa mort. Mais, les journées commencent-elles vraiment depuis quelque temps ? N’est-ce pas seulement une lourde, lente et douloureuse nuit que nous éprouvons depuis des semaines ?
« Non non personne/ Ne prend jamais plus/ La place de personne/ Pas plus qu’ici le bon souvenir/ Ne la laisse au mauvais/ Et si le temps m’offrait/ L’aumône de lui-même/ Je l’utiliserais/ Encore et bien fait/ À aimer ce que tu es/ À aimer ce que je suis/ En somme,/ Aimer ce que nous sommes/ Aimer... »
Christophe, « Mal comme », in Aimer ce que nous sommes, 2008
Meringuer sa peine
Montreuil, 14 avril 2020
écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
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et dernière modification le dimanche 19 avril 2020