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Avant | 2 mai 2003

Je crois que j’arrive à saturation de mes branles sur internet. Je me suis connecté ce matin, c’était davantage par habitude que par excitation. Il y avait une dizaine de photos, parfois des bonnes, de mecs qui m’avaient envoyé leur queue la veille – mais j’avais été déconnecté par le service, et eu la flemme de me reconnecter. J’ai répondu à certains, ai échangé d’autres photos, je regardais les images sans bander, j’ai fini par déconnecter et jouir en regardant le plafond. Le sperme est sorti avec difficulté, on aurait dit que lui-même était las du trajet que je l’obligeais à prendre. Qu’il voulait qu’on lui foute la paix. J’ai entendu le message : je crois que je vais calmer le jeu, essayer de regarder la vie d’un œil neuf. Je suis fatigué (toujours), un peu désabusé (mais je voudrais vérifier le sens exact du mot, la notion d’abus m’échappe…). Jean-Pierre a remarqué hier : ça va pas, la petite puce… Il pensait que ça avait un rapport avec le boulot. Est-ce possible ? Sans doute : je quitte l’Accueil pour le rayon Droit / Informatique de la Fnac à partir du 1er juillet, j’ai deux mois pour apprendre tout ce qu’il y a à savoir. En même temps, dès que je me penche un tant soit peu sur la question, je me dis qu’il n’y a pas tant de choses que ça à apprendre. Ou à savoir. Que le renseignement, je maîtrise, le classement, ça va. Retrouver les livres, no problem, le rangement, juste une question d’habitude, et d’efficacité. Ça peut venir vite. Les représentants ? A gérer avec eux. La tenue du rayon, les ventes ? C’est un peu ce qui m’inquiète. Jean-Pierre : tu auras sûrement un temps de battement de deux à trois mois, le temps de t’y faire… Seulement cette impression que j’ai que tout doit être parfait dès le premier jour, que c’est ce que l’on attend de moi – la pression que je m’impose peut-être ?
Standard américain sur Canal+ que je dois laisser branché pour le bon rétablissement de la marche du décodeur. On a regardé les derniers épisodes enregistrés de Six feet under hier soir, c’est ce qui nous a donné l’énergie d’appeler ce matin le service technique : ne pas rater la suite. Je me sens proche de Brenda. Je me sens proche de Nina. Je me sens proche de Laura. Deux syllabes, terminaison en -a, une grande cohérence dans ma vie. Standard américain sur Canal+, la télé doit rester branchée sur les programmes de la chaîne cryptée au moins quarante minutes pour rétablir une histoire de « droits » – décidément, ça me poursuit. Le droit, la honte, être dans le droit chemin, le rayon droit. Le rayon droit, le Rayon Gay… Straight. On regarde Six feet under, hier on est allé voir Dolls de Kitano, ça ne m’a pas touché du tout. J’en étais navré, j’avais envie que ça marche, j’avais envie de poésie, et d’abandon. Raté. Il y a X-Men 2 à voir – mais pas de version originale à Nice. Quelqu’un crie dans la télévision, il est onze heures, Timon, m’a dit Françoise, sera en avance vendredi, je n’ai pas demandé de combien, ce que ça voulait dire. Qu’il peut sans doute frapper à la porte à tout moment. Je suis en caleçon, post-douche, thé auprès de moi, et le magnifique muguet que Jean-Pierre m’a offert, qu’il faudrait que j’arrose – mais je suis nul avec les plantes. Poussière autour de l’ordinateur, la crasse extérieure en miroir de ma pourriture intérieure. Il faut arrêter de se faire du mal en croyant me faire du bien. De H&O, rien, des éditeurs, rien. J’ai terminé Matricule hier après-midi, je voulais venir écrire ce que j’en avais pensé dans le journal, mais en relisant la dernière phrase écrite (« On dirait un dimanche. »), je me suis dit qu’il ne fallait rien y ajouter. Résultat : j’ai perdu la spontanéité par rapport au livre de Claire. Que j’ai aimé, bien sûr, et qui m’a impressionné. Ce n’était pas prévu, pas autant. Il faudra le lui dire, en face, un jour. Laisser passer du temps peut-être… On a déjeuné ensemble, ensuite il y a eu la dédicace, je terminais mon boulot avant la fin de la signature, j’ai laissé un mot à son attention, pour dire que j’allais boire un verre aux Deux Palmiers, elle m’a répondu par télémessage dans la soirée, qu’elle avait eu mon message trop tard. J’étais au restaurant avec Jean-Pierre, pizza trop grasse. Il y avait aussi un télémessage de Séverine à propos de son rendez-vous internet qui avait décommandé leur première rencontre. Des messages du 1er mai envoyés hier, il y a eu jusqu’à présent une quinzaine de réponses, ce qui est fort honorable, je trouve, connaissant les internautes. Dans la boîte aux lettres, je ne sais pas encore. Je respire mal, c’est entre l’allergie et la grippe. Je respire mal, ma hantise serait de mourir étouffé, suffoquant, à la recherche désespérée, douloureuse de mon souffle. Je respire mal, même en terrasse, même aux Deux Palmiers, dans l’attente de Claire, je respire mal, je ne sais pas me détendre. Je suis : tendu, figé. Comme un cartilage qui se calcifie. Je ressens la saisie des liquides, comme un bol d’huile au frigidaire, qui se transforme en pellicule grasse, compacte. J’ai peur que la mort soit uniquement cela : une solidification des tissus, des humeurs, des fluides corporels. Rigidité cadavérique. Et que l’on soit témoin, à l’intérieur, emprisonné, hurlant en silence, de tout le processus.


_résidence Laurent Herrou | Avant | 2 mai 2003

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
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première mise en ligne et dernière modification le mercredi 15 mai 2013