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Laurent Herrou | Avant | 6 août 2003

Retour des deux mains sur le clavier – même modestement. Jusque là je ne tape qu’avec un doigt de la main gauche, je n’ai pas repris encore le bon rythme. Tiraillement dans les muscles de l’avant-bras lorsque je force un peu, que je me force à changer de doigts, à varier. Tiraillement, mais il faut essayer : le médecin a parlé de six mois de rééducation pour recouvrer les fonctions normales du bras (le kiné était plus optimiste au téléphone, je le vois demain pour la première fois).
Donc : je n’ai plus de plâtre.
Donc : je suis arrêté un mois encore.
Lorsque le médecin m’a demandé quel travail je faisais, j’ai dit que je travaillais à la Fnac, que j’étais libraire. J’ai ajouté : je porte des bacs toute la journée… Il ne m’a pas laissé finir, il a fait un bruit avec la bouche : tss tss, puis : calmez-vous, vous l’avez, votre arrêt ! Je me suis senti mal, sale, coupable, honteux, en vérité j’avais peur qu’il me dise qu’il fallait que j’y retourne, quelque chose qui avait à voir, je crois, avec la sanction du service militaire, à Tarascon, la gueule du mec, et puis le tampon « Apte », yeux dans les yeux. J’ai voulu justifier, il a répondu qu’avec une fracture de la sorte, il était évident que je ne retournais pas travailler. Je n’en ai pas dit plus – ou si, plus tard, quand il a demandé si la Fnac se passerait de moi, j’ai répondu que c’était la rentrée universitaire, mais que j’étais bien content que ça se fasse sans moi (je m’en suis voulu ensuite, une fois de plus, de cette phrase un peu idiote, comme si j’étais super sûr de moi – ce que je ne suis pas).
Henri a écrit en réponse à mon e-mail que le livre serait sûrement paru aux dates du Festival de la Parole et du Livre.
Tiraillement dans l’avant-bras, dans le coude.
Premier rendez-vous chez le kiné demain. Et ce matin : deux heures à la piscine. Brasse gentille, lente, retrouver la mobilité, ce n’est pas encore ça. Cette nuit, je me suis dit aussi qu’il faudrait me remettre au piano. Que d’ambition pour un rescapé du plâtre.
Le médecin a dit : donc vous êtes tombé comme cela, mimant la chute, je l’ai un peu contredit d’abord, il a répondu : si, c’est obligatoire, pour une fracture pareille. J’ai dit : vous avez sûrement raison. J’ai demandé si je pouvais partir en Bretagne, faire la rééducation là-bas, si ce n’était pas gênant, il a dit : au contraire, reposez-vous, profitez-en… Il faut juste que vous préveniez la sécurité sociale. J’ai dit ok.
Repos du bras sur la cuisse, position pliée du plâtre – sans le plâtre. Mais Jean-Pierre ce matin, qui me gronde : non, il faut utiliser le bras gauche. Je n’ai pas de force pour le moment, pas encore. J’ai hâte en fait, du rendez-vous chez le kiné. J’ai hâte aussi, de l’intimité avec cet homme-là, que je ne connais pas encore. C’est Jean-Pierre qui l’a conseillé, le gars avait soigné Benoît. Jean-Pierre dit : c’est un jeune, je rétorque que s’il a soigné Ben il y a dix ans, le gars a dix ans de plus. Jean-Pierre sourit : imparable ! remarque-t-il.
Parfois, je ne sais pas ce qu’il veut.
Je vais aller en ville, je crois, faire quelques courses. Puis un verre – Manu ? Françoise ? Nathalie ? Autre ? Jean-Pierre est pris avec S.I.S. une partie de l’après-midi. J’ai du temps devant moi, plus que je n’en ai eu récemment. Je crois que je ne sais pas cacher la joie que j’éprouve d’être arrêté un mois, maintenant, cet été.


_résidence Laurent Herrou | Avant | 6 août 2003

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
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première mise en ligne et dernière modification le mardi 1er octobre 2013