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Piero Cohen-Hadria | rue de Montreuil, Paris

Elle commence à l’hôpital et se termine au métro, Avron, vingtième pratiquement, c’est toujours le onze quand elle s’arrête, elle commence sur une place et monte une petite colline
 

 
 
j’y vivais il y a longtemps, non loin de là, le soleil est revenu, une laverie où j’allais à sept heures le matin, un épicier y vendait des artichauts cuits et salés, une petite boutique de bouts de bois, des commerçants, rien d’exceptionnel,
 

 
 
ce n’est jamais l’exception qui nous importe mais plutôt la norme, ce qu’il y a de normal dans le souvenir, une sorte de photo, une sorte de réminiscence, le lampadaire sur ce plafond, revenir sur ses pas, cette rue qui monte, comme celle qui tourne d’un de mes oncles, celui de Vendôme, pas celui de Chateaubriand, cette rue, qui monte et là, juste au coin, un café – c’est un pub aujourd’hui – qui abritait alors une dizaine de billards, les parties de trois bandes, dans cette même rue vivait Francis Lacassin, dans la salle une figure de deux mètres de haut de Fantômas (et aussitôt Franju, la Villette, « le Sang des Bêtes »…), cette rue
 

 
 
qui abrite des images de fauves, des images de petits métiers, remonter et apercevoir ici
 

 
 
ou non loin, la façade de l’immeuble où vivait à la fin de sa vie cette grand-tante, souriante, professant à Tunis les mathématiques, la femme du frère de mon grand-père (c’est compliqué mais elle était plus jeune que lui, ceux de la Marseillaise, et lorsqu’il est mort, elle s’installa ici), ses cheveux courts et bouclés, cette façon de parler de se tenir, la ligue des Droits de l’Homme, cette morale, cette justice, cette appétence pour le beau ou le vrai ou le fort le dur le destin, je me souviens
 

 
 
dans cette rue qui monte vers les boulevards, Philippe Auguste et son enceinte, ou Voltaire et son quai, Charonne ce village, qu’elle coupe où elle s’éteint
 

 
 
les souvenirs sont ainsi faits, la lumière et ils reviennent lorsqu’on emprunte un passage, une photo dont on contrastera les couleurs, une rue, nous la descendions lundi, descendre du 26 à Maraîchers, prendre celle de la Volga, et croiser celle de Tunis, descendre encore et voir la pluie tomber
 

 
 
et ne pas oublier de parler de ces croisements, l’une de ces petites rues qui descend, les croisements de la mémoire, les petites maisons, les cours, les roses et les plantes, la nature, se souvenir, avons-nous tous les mêmes
 

 
 
sont-ils de l’une à l’autre tellement différents, prendre son bras, et elle le mien, regarder le monde passer sous ses fenêtres,
 

 
 
espérer encore peut-être un peu, la chance qui ne frappe qu’une fois à la porte de la jeunesse, quelle fadaise, se souvenir de « Manhattan Transfert » de ce héros qui regarde dans le métro où s’asseoir années vingt années trente, cette tante et cet oncle, ces images de Tunis, de Paris, le monde et le faubourg Saint-Antoine, la Commune et la Révolution, les meubles et non loin de là, la Nation, quand on en part, quand on y aboutit, le monde tel qu’il est et tel qu’on le voit, se battre et regarder des images, changer de focale, distinguer ici ou là, là-bas plus loin, de l’autre côté de la ville, au loin derrière nous à présent, les Pyrénées et les Maréchaux, plus encore les murs à pèches et les romanichels, non loin de là, se retourner et descendre encore, repasser par Faidherbe
 

 
 
et plus loin sur le faubourg, au droit du cinquante trois, se souvenir du Génie
 


Quand Piero Cohen-Hadria m’a invité à participer aux vases communicants de juin, j’ai immédiatement su ce que j’avais envie de partager avec lui. Marcheur urbain, fin connaisseur de l’Est parisien, cinéphile, observateur du dehors et du dedans mais aussi toujours en quête d’une nouvelle ville, de nouveaux paysages, raconteur des douleurs, des souvenirs, des émotions, PCH a toujours un appareil photo dans la poche. Comme il habite Paris et moi Montreuil j’ai eu l’idée de lui demander d’aller faire un tour dans la rue de Montreuil à Paris pendant que j’irais me promener rue de Paris, de l’autre côté de la Porte de Montreuil. Il a dit oui oui oui. Et voilà ! Après avoir suivi Piero ici vous pourrez me retrouver sur le site qu’il co-anime (voir ses carnets) avec Hélène Clémente ou encore Adrien Villeneuve, Pendant le week-end. Merci à Piero pour la promenade et l’hébergement.

Ce texte de Piero Cohen-Hadria a été écrit dans le cadre des vases communicants. Sans Brigitte Célérier nous aurions été paumés ; grand merci aussi à elle d’avoir tenu à jour la liste des 16 échanges du mois que vous retrouverez ici ou .

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
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première mise en ligne et dernière modification le vendredi 1er juin 2012