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Côté face (18-19)

Plus aucun bar ne m’accepte. Dès que je franchis la porte, on me fusille du regard. Je ne sais pourtant pas quel crime j’ai commis.
Un jour je me suis déguisé. On m’a reconnu mais personne n’a rien dit, rien fait. Ils n’étaient pas sûrs que j’étais bien moi. Moi-même j’ai douté. Je me suis assis sur une banquette en cuir et j’ai savouré ce moment si rare. Et ça m’a repris. Je n’ai pas pu résister longtemps. Je me suis couché à terre et j’ai pleuré. Lorsque je me suis relevé, mon visage avait disparu à nouveau. Mes mains s’étaient raccourcies et mon corps avait pris la forme d’un ver de terre. Tout le monde courait, on me cherchait, on ne me trouvait pas. C’est normal : je m’étais caché dans la doublure d’un blouson. Je ressentais toutes les secousses du type chez qui je logeais en clandestin. Puis j’ai fait un mauvais geste qui m’a coûté la vie : je suis tombé dans un lavabo.
On m’a reconnu de suite car j’avais gardé mes lunettes.
Je suis allé au tribunal. On m’a coupé la tête. J’étais trop dangereux.
Heureusement pour moi je suis parvenu à me transformer en plante carnivore.

Plus tard, j’ai repris mes esprits. J’étais bien assis, bien en place, en chair et en os... Les piqures ne me font plus d’effet. On me laisse tranquille. C’est fini, je ne me transformerai plus... sauf peut-être la nuit en chauve-souris. J’aime beaucoup la nuit. Je peux épier mes voisins, eux la plupart du temps ne me distinguent pas. Et ça me rassure un peu... Quand je vois ce que font les copains dans leur chambre, je me sens tout à fait équilibré et normal comme disent mes gardiens.

 

écrit ou proposé par Christophe Grossi - @christogrossi
BY-NC-SA (site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
première mise en ligne et dernière modification le vendredi 22 novembre 1991